Sexo : c’est quoi la « dictature de l’orgasme » ?

Sexo : c’est quoi la « dictature de l’orgasme » ?

Vous parlez de la « dictature de l’orgasme ». Pouvez-vous vous expliquer ?

Dr Damien Mascret : C’est un sujet assez complexe. L’orgasme n’est pas indispensable à la satisfaction sexuelle. Il faudrait donc arrêter de se fonder sur l’orgasme pour juger de la qualité d’un rapport sexuel. En effet, cela conduit à l’injonction « il faut absolument avoir un orgasme », qui produit plusieurs conséquences : la plupart des hommes sont convaincus qu’ils doivent faire jouir leurs partenaires, sinon ils ne sont pas de bons amants et/ou conjoints. Du côté des femmes, nombreuses sont alors celles qui pensent que si elles n’arrivent pas à atteindre l’orgasme, c’est qu’elles présentent une dysfonction sexuelle et même qu’elles ne sont pas des partenaires suffisamment satisfaisantes.

D’autant que, comme le montre une étude de l’Institut Kinsey à l’université de l’Indiana (USA) parue en juillet 2024, le fossé des orgasmes persiste entre les sexes ?

Dr Damien Mascret : Oui, les hommes atteignent l’orgasme dans 70 à 85 % des rapports sexuels, et les femmes autour de 46 à 58 %. Soit un taux d’orgasme entre 22 % et 30 % plus élevé chez les hommes !

En 2023, une étude norvégienne avait également observé cet écart, de 15 à 20 % en faveur des hommes, quelles que soient les tranches d’âge (73 % des hommes et 57 % des femmes avaient rapporté avoir eu un orgasme).

Mais il faut nuancer cette position : s’insurger contre la dictature de l’orgasme pourrait s’avérer contre-productif. A force de dire que ça n’est pas si important d’atteindre l’orgasme, on pourrait considérer que les femmes qui n’y accèdent pas ou qui y accèdent bien moins souvent que les hommes n’est pas un sujet à prendre trop à cœur. Au détriment des femmes.

Cet écueil est illustré par une étude finlandaise de 2016 qui a mis en lumière un écart persistant avec les décennies dans la capacité des femmes à atteindre l’orgasme, en particulier pour celles de moins de 35 ans, qui en éprouvaient moins facilement par rapport aux générations précédentes. D’où l’interprétation possible de cette situation comme le résultat d’une pression sociale qui, tout en dénonçant le diktat de l’orgasme, pourrait amener les femmes à le minimiser voire à s’en désintéresser. Or, il ne faut pas être hypocrite et reconnaître que si les hommes sont moins touchés par les troubles du désir, c’est notamment parce que le rapport sexuel est très souvent orgasmique, renforçant ainsi leur désir et leur excitation.

En effet, dire que l’orgasme n’est pas le Graal pourrait conduire à ce que l’on s’en désintéresse et que l’on n’aide pas vraiment les femmes à l’atteindre plus souvent. Alors même que l’absence d’orgasmes peut conduire à une diminution de l’envie de rapports sexuels ?

Dr Damien Mascret : C’est vrai. Pour qu’une activité soit désirée, il est nécessaire qu’elle soit satisfaisante. Même si un rapport sexuel sans orgasme peut être satisfaisant sur le plan émotionnel ou apporter du plaisir, mais ne laissera pas la même satisfaction au cerveau. Car l’orgasme représente le plaisir le plus intense qui existe. Il s’agit d’une expérience à la fois physique et psychologique, la plus forte récompense possible dans l’acte sexuel. Si un rapport ne conduit pas à cette récompense, il devient au fil du temps moins gratifiant pour le cerveau. Par conséquent, dans la compétition des activités plaisantes et agréables, d’autres pourraient prendre le dessus (séries TV, jeux vidéo, réseaux sociaux, soirée avec des amis, lecture…).

Damien Mascret est l’auteur de l’ouvrage « Le cycle du désir » (éditions du Faubourg 2023 ; Pocket 2024). Son nouveau podcast Sexo’Clock explore la sexualité.