Procès des « viols de Mazan » : qu’est-ce que la soumission chimique ?
C’est un procès hors-normes, avec 51 accusés, 92 viols comptabilisés, dont les premiers remontent à 2011. Le procès des « viols de Mazan », qui se tient à Avignon jusqu’au 20 décembre 2024, jette une lumière crue sur la soumission chimique. Dominique Pélicot est accusé d’avoir drogué son épouse Gisèle Pélicot, durant près de 10 ans, afin de la livrer sexuellement à des inconnus.
Dans une enquête du centre d’addictologie de Paris avec le soutien de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), la Dr Leïla Chaouachi, pharmacienne, livre cette définition : « la soumission chimique est l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substance psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace ».
Un lourd retentissement psychologique
En 2021, selon l’enquête citée plus haut, 727 signalements suspects ont été enregistrés, soit une hausse de 34,9 % par rapport à 2020, dont 82 soumissions chimiques vraisemblables. En 2022, selon les chiffres rapportés par Leïla Chaouachi lors d’une interview au Point, 1 229 signalements suspects ont été réalisés, soit une augmentation de 69 % par rapport à l’année précédente.
En 2021, parmi les soumissions chimiques qualifiées de vraisemblables, « on décompte 82 victimes avec une prédominance féminine (69,5% soit 57 cas), âgées de 1 an à 64 ans (médiane à 23 ans) dont 22 mineurs et 15 enfants de moins de 15 ans ».
Pour qu’une soumission chimique soit jugée vraisemblable, trois critères doivent être réunis :
une agression ou tentative d’agression documentée ;
une ou plusieurs substances psychoactives identifiées ;
des données cliniques et chronologiques compatibles avec la pharmacologie des substances identifiées.
Les soumissions chimiques vraisemblables ont majoritairement lieu dans un contexte privé. Les auteurs sont souvent connus des victimes. Chez les enfants de moins de 15 ans, les agresseurs sont des proches dans 6 cas sur 15.
L’agression sexuelle est la principale agression rapportée (69,5 %). Mais au-delà, l’ANSM pointe de nombreuses autres conséquences cliniques observées chez les victimes : « chutes et traumatismes divers, accidents de la voie publique, trouble de l’usage de substances et troubles du comportement alimentaire, grossesses non désirées. Mais aussi… un retentissement psychologique important (angoisse du “black-out” avec ruminations anxieuses, réactions phobiques, hypervigilance, tentatives de suicide et scarifications) et jusqu’au décès ».
Quelles sont les substances incriminées ?
« Les médicaments psychoactifs restent majoritairement impliqués, utilisés notamment pour leurs propriétés sédatives. Tramadol et zopiclone sont en première position suivis par le diazépam, l’alprazolam et la doxylamine. On note cependant une nette progression des substances non-médicamenteuses, notamment de la MDMA », précise le rapport de l’ANSM. Dans le cas du procès des viols de Mazan, pour droguer son épouse, l’agresseur a utilisé du Temesta (lorazépam), un anxiolytique de la famille des benzodiazépines.
Sensibiliser les soignants
Caroline Darian, la fille de la victime Gisèle Pélicot, a fondé le collectif « M’endors pas » afin de sensibiliser sur la soumission chimique dans la sphère privée. « Ni les médecins traitants ni les spécialistes ne sont familiers des conséquences de la soumission chimique sur leurs patients. La campagne ‘M’endors pas’ vise à les sensibiliser afin que, confrontés à des symptômes inexplicables, ils soient en mesure d’évoquer ce diagnostic, faisant ainsi gagner un temps précieux à leurs patients », explique sur le site Internet du collectif Ghada Hatem-Gantzer, docteure et fondatrice de la Maison des Femmes de Seine-Saint-Denis. Gisèle Pélicot a en effet consulté de nombreux médecins, pour divers symptômes inexpliqués, en particulier gynécologiques, qui ne se sont doutés de rien durant toutes ces années.
Quels signes doivent alerter ?
Les symptômes qui doivent alerter les soignants et/ou l’entourage sont :
l’amnésie ;
la somnolence ;
les troubles du comportement ;
les troubles somatiques divers ;
les troubles du sommeil ;
les troubles de la mémoire ;
les troubles neurologiques divers ;
la perte de poids ;
un accident sur la voie publique ;
un syndrome de sevrage…
Depuis 2018, la soumission chimique est une circonstance aggravante du viol. « Le fait d’administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende », est-il inscrit dans l’Article 222-30-1 du Code pénal.
Le fléau de la soumission chimique avait déjà occupé le devant de la scène en novembre 2023. La députée Modem Sandrine Josso avait accusé le sénateur Joël Guerriau de l’avoir droguée à son insu dans le but de l’agresser sexuellement. En avril dernier, une mission parlementaire a été lancée avec, à sa tête, Sandrine Josso qui a fait de la lutte contre la soumission chimique son cheval de bataille. Mais ses travaux ont été stoppés du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024.