Octobre Rose : quelles sont les spécificités du cancer du sein chez la femme jeune ?
Retrouve-t-on les mêmes types de cancers chez les femmes jeunes et les femmes plus âgées (l’âge médian du cancer du sein en France est de 63 ans) ?
Aliette Dezellus : Les cancers du sein concernent 3 000 femmes de moins de 40 ans en moyenne chaque année. On retrouve tous les types de cancer mais on observe dans cette classe d’âge plus de cancers du sein triple négatif – qui ne présentent pas de récepteur aux œstrogènes, à la progestérone et à la protéine HER2 – et les cancers du sein HER2 surexprimé (surexpression du récepteur HER2, une protéine qui fait grossir plus rapidement la tumeur, ndlr). Par ailleurs on retrouve une proportion plus importante de cancers canalaires (les canaux qui constituent la glande mammaire, ndlr), chez les femmes de moins de 40 ans par rapport aux femmes plus âgées.
Les cancers du sein chez la femme jeune sont-ils plus agressifs ?
On dit souvent que les cancers sont plus agressifs chez la femme jeune car le cancer est souvent plus avancé localement lorsqu’on le découvre. Notamment parce qu’il n’y a pas de dépistage organisé du cancer du sein. Et aussi parce que le diagnostic est plus difficile chez les femmes jeunes, notamment l’examen radiologique car leurs seins sont plus denses et la mammographie moins lisible. Effectivement, cela retarde parfois le diagnostic, on va par exemple diagnostiquer un adénofibrome et non un cancer. En deuxième intention chez les femmes jeunes, pour assurer un bon diagnostic, on réalise une IRM mammaire.
Mais concrètement, concernant les cancers hormonodépendants, le pronostic est un moins bon chez les femmes jeunes. Mais pour les cancers triple négatif et HER2 surexprimé, le pronostic est meilleur.
Recherche-t-on une mutation génétique à chaque cas ?
On propose une consultation d’oncogénétique chez une femme atteinte d’un cancer du sein avant 40 ans oui. Selon les caractéristiques du cancer et l’histoire familiale, on cherche des mutations sur les gènes BRCA1 et BRCA2 qui sont les mutations les plus connues et les plus fréquentes, mais on recherche aussi des mutations de PALB2 et d’autres anomalies génétiques plus rares… Le plus souvent, on effectue une recherche de mutation génétique pour treize gènes au total. On en retrouve chez 5 à 10% des femmes ayant un cancer du sein. Cette proportion peut être un peu plus élevée chez les femmes jeunes mais reste < à 15%.
Les traitements sont-ils les mêmes chez les femmes jeunes ?
C’est surtout l’hormonothérapie qui va être différente selon que la femme est ménopausée ou non. Chez la femme non ménopausée, l’hormonothérapie la plus souvent utilisée est le Tamoxifène. Chez les femmes jeunes ayant un mauvais pronostic, on réalise un double blocage pour taper plus fort sur la tumeur : le blocage des ovaires qui sont placés en ménopause artificiel et un blocage périphérique qui empêche la transformation des androgènes en œstrogènes (anti-aromatases). Après la ménopause, quand les ovaires ne fonctionnent plus, on prescrit uniquement des anti-aromatases.
« On parle conservation de la fertilité immédiatement, dès l’annonce du diagnostic, car on n’a que peu de temps pour prendre les décisions et agir. »
Le retentissement de l’hormonothérapie est parfois très dur à supporter pour ces femmes.
C’est un traitement très lourd. On parle d’une femme de 30 ans, parfois plus, parfois moins, qui vient d’en finir avec une chirurgie, une chimiothérapie, une radiothérapie et qui pendant 5 ans minimum, va se retrouver artificiellement sous ménopause, par injection tous les mois d’analogues de la LHRH (cette hormone qui commande l’hypophyse en charge du fonctionnement ovarien, ndlr). On fait descendre au plus bas les taux d’hormone et c’est vraiment très difficile à supporter pour ces femmes jeunes, en termes d’effets secondaires au quotidien, notamment concernant l’intimité, et à plus long terme avec la possible survenue de l’ostéoporose et de douleurs articulaires notamment. C’est un marathon, c’est le traitement le plus long et effectivement, c’est un traitement que les femmes ont parfois du mal à suivre.
Concernant la conservation de la fertilité, à quel moment en est-il question dans le parcours de soins ?
On parle conservation de la fertilité immédiatement, dès l’annonce du diagnostic, car on n’a que peu de temps pour prendre les décisions et agir. Dès lors qu’une femme a moins de 40 ans, on lui demande où elle en est de son projet parental. La chimiothérapie du cancer du sein est à toxicité intermédiaire pour les ovaires, certaines femmes réussissent à être enceintes sans aucune difficulté après, mais d’autres non. Cela dépend de l’âge à laquelle la femme suit une chimiothérapie et de sa réserve ovarienne. Le temps des traitements, le temps de la rémission, plusieurs années peuvent passer avant de pouvoir être enceinte sans aucun risque. C’est donc parfois une course contre la montre. Si c’est nécessaire et si c’est possible (un cancer localisé, sans atteinte métastatique), on propose une stimulation de l’ovulation afin d’obtenir le plus d’ovocytes matures possible. On effectue alors une ponction d’ovocytes puis une vitrification ovocytaire. La patiente suit son traitement et pourra ensuite utiliser au besoin ses ovocytes conservés.
Et quelles décisions faut-il prendre lorsqu’une femme est enceinte quand elle est diagnostiquée ?
Cela dépend du terme de la grossesse. Les traitements ne sont pas compatibles avec une grossesse jusqu’au premier trimestre. La question d’une interruption médicale de grossesse se pose alors. Au deuxième et troisième trimestre on peut traiter : la plupart des chimiothérapies sont autorisées durant la grossesse, la chirurgie aussi, et parfois aussi la radiothérapie. Souvent, il faudra déclencher plus tôt l’accouchement. Ces décisions sont prises au cas par cas lors de discussions au sein du réseau cancer associé à la grossesse. Mais il faut que les femmes concernées sachent que c’est possible.