Les nouvelles chaussures de sport : du dopage technologique ?
Quel est le challenge auquel sont confrontées les chaussures de course à pied ?
Dr Jacques Pruvost : La conception des chaussures de course a représenté dès le début un défi pour les ingénieurs. Il fallait trouver le bon équilibre entre amorti et vitesse/performance, un amorti excessif pouvant rallonger le temps de contact au sol. Depuis les années 1970, les premières courses sur le bitume, les ingénieurs se sont donc concentrés sur la recherche d’une hauteur et de matériaux de semelle qui puissent amortir et absorber les chocs à l’impact au sol, quel que soit le rythme de course du coureur. Et ainsi réduire les dommages causés à l’appareil locomoteur par les ondes de choc et les vibrations.
Mais comme on l’entend souvent : « amortir, c’est ralentir » ?
En effet, jusqu’au milieu des années 2010, ce principe dominait. Cela s’explique par l’utilisation de semelles épaisses avec des matériaux élastiques. Les équipementiers vont alors recourir à divers matériaux amortisseurs aux propriétés variables : caoutchouc naturel, polyuréthanes comme le sorbothane et le podiane, acétate d’éthylène vinylique (mousse EVA, le matériau le plus utilisé), gels siliconés, et la technologie à base d’air (gaz inerte enfermé dans du plastique). Ces chaussures dites « maximalistes » ne font qu’amortir les chocs.
Les chaussures de course ont progressivement évolué vers un modèle intégrant un retour d’énergie (une chaussure avec un bon retour d’énergie va redistribuer cette énergie absorbée par la chaussure lors du contact au sol pour aider à propulser le coureur vers l’avant), mais cela entraînait encore une légère perte de temps à chaque pas.
C’est pourquoi, depuis environ 2021, une (r)évolution a eu lieu dans la conception technologique des chaussures de course : l’apparition des plaques de carbone glissées au sein de la semelle. Les prototypes Nike étaient portés par les trois médaillés sur le podium du marathon des JO de Rio en 2016. Désormais, fini le choix cornélien entre « amorti » ou « vitesse » : la semelle amortit ET propulse !
En quoi consiste cette nouvelle technologie ?
Aujourd’hui, toutes les chaussures de compétition – marathon ou athlétisme – intègrent les nouvelles lames de carbone dans des semelles intermédiaires constituées de nouveaux matériaux qui améliorent la propulsion et augmentent la restitution d’énergie. L’arrivée de ces innovations a éliminé la perte de temps à l’appui : elles sont à la fois amortissantes et propulsives. Si elles n’affectent pas la cadence des appuis, elles augmentent l’amplitude des foulées de 5 cm en moyenne. La hauteur des chaussures n’est donc plus un inconvénient.
Elles font d’ailleurs largement la course en tête ?
Au départ, ces nouvelles chaussures ont été considérées comme du dopage technologique, car les temps ont nettement progressé grâce à elles. Cela a choqué de nombreux adeptes de la course à pied. De plus, les critères de qualification n’ont pas anticipé l’impact de ces chaussures. Par exemple, pour les JO 2024 de Paris, sur 1500 mètres, 18 Français se sont approchés du temps de qualification pour seulement 3 places disponibles. Les performances ont radicalement changé. Sur cette distance, une amélioration de 2 secondes est énorme. Par exemple, passer de 3 :38 à 3:36 est significatif. Aujourd’hui, il y a trois fois plus de coureurs atteignant ces temps. Sur un marathon, l’impact est également notable : les meilleurs coureurs français ont amélioré leurs temps de 3 à 4 minutes, passant de 2 :08 à 2:04. Une minute de différence sur un marathon est considérable.
Les sportifs amateurs ont-ils un intérêt à porter ces chaussures technologiques ?
De nos jours, les médecins du sport voient principalement des coureurs dont la vitesse dépasse rarement 12 km/h. Ces vitesses ne tirent pas parti des lames de carbone, conçues pour des performances plus élevées. Pour ces coureurs, il est recommandé de privilégier des chaussures confortables et bien amortissantes (maximalistes), avec pour objectif de garantir une pratique durable de la course à pied. D’autant qu’en modifiant les appuis et la foulée, les chaussures à lames rigides intégrées (carbone ou autres matériaux) peuvent être, chez les coureurs peu expérimentés, à l’origine de blessures tendineuses ou musculaires toujours délicates à soigner. A cela s’ajoute une durée de vie d’environ 1 mois, 2 au maximum, pour un prix de plusieurs centaines d’euros.