Des cosmétiques pour faire pousser les cils : quand la beauté menace la santé des yeux
En France, tout a commencé ainsi : en février 2025, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a reçu la déclaration d’un effet indésirable chez une jeune femme utilisant un sérum pour les cils. Après cinq mois d’application quotidienne à la base des cils supérieurs, elle a constaté un assombrissement net de l’œil gauche et une perte de la graisse autour des deux orbites, accentuant les cernes. Ces symptômes sont apparus progressivement. Après investigation, le lien causal entre l’usage du produit pour les cils et l’effet observé a été jugé vraisemblable, et l’un des composés, l’isopropyl cloprostenate, a été identifié comme probablement responsable.
Des effets bien connus des prostaglandines : efficaces mais risquées
La prostaglandine et ses dérivés sont des hormones de croissance utilisées en ophtalmologie dans certains collyres pour le traitement du glaucome. Leurs effets indésirables incluent la pousse et l’épaississement des cils, un changement définitif de la couleur des iris vers une teinte plus foncée, ainsi qu’une irritation chronique des yeux, des démangeaisons ou une perte de la graisse autour de l’œil, qui touche tout de même près de 10 % des patients traités par ces collyres antiglaucome.
Mais voilà : si dans le cadre d’un traitement indispensable pour réduire la pression intraoculaire, la balance bénéfice/risque reste en faveur du traitement, la situation est tout autre dans le cas des produits cosmétiques. Ceux-ci répondent à une réglementation bien plus allégée et sont destinés à des personnes en bonne santé oculaire. Les potentiels effets ne sont généralement pas mentionnés sur le conditionnement, laissant les utilisateurs dans l’ignorance. Prendre le risque de dégâts oculaires irréversibles est donc très préoccupant.
Une réglementation européenne imminente
Aux États-Unis, l’utilisation de prostaglandines dans un produit cosmétique destiné à la pousse des cils le classe de facto comme médicament, car son objectif est de modifier une partie du corps. Il doit donc être approuvé en tant que tel par la Food and Drug Administration (FDA), autorité chargée de la sécurité des cosmétiques comme des médicaments.
En Europe, ces substances pourraient très prochainement être interdites ou strictement limitées dans les produits cosmétiques. Les conclusions définitives de l’Union européenne sont en attente après la remise, en juin 2025, par le Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs (SCCS) d’un avis préliminaire, suivi d’une consultation publique clôturée en août. Après avoir évalué toutes les preuves fournies par les metteurs sur le marché concernant l’utilisation sûre des trois analogues de prostaglandine (l’isopropyl cloprostenate, le norbimatoprost et le déchloro dihydroxy difluoro éthylcloprostenolamide) dans des produits cosmétiques destinés à favoriser la croissance des cils et des sourcils, le SCCS a publié un avis préliminaire indiquant qu’« aucun de ces trois produits ne pouvait être considéré comme sûr ».
Cils plus fournis, iris assombris : les risques connus des cosmétiques aux hormones
Ce problème n’est pas nouveau. En 2013 déjà, motivant leur avertissement à la population, les autorités sanitaires suédoises avaient analysé 26 sérums destinés à la pousse des cils et détecté des analogues de prostaglandine dans neuf produits, dont trois sans mention de ces substances sur l’emballage. En 2018, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques avait alerté la Commission européenne sur le fait que les dérivés de prostaglandines utilisés pour stimuler la pousse des cils présentaient un risque pour la santé, même aux concentrations appliquées en cosmétique.
Quoi qu’il en soit, l’Anses lance une alerte immédiate, sans attendre une éventuelle modification de la réglementation. En cas d’effet indésirable lié à l’utilisation d’un produit cosmétique, tout consommateur est vivement encouragé à le déclarer sur le portail de signalement des effets sanitaires indésirables du ministère de la Santé. Ce signalement peut permettre d’identifier un risque nouveau et d’adopter les mesures appropriées.