Cosmétique : des effets cérébraux vantés par les marques, dénoncés par les dermatologues
Le groupe Psychodermatologie de la Société française de dermatologie que vous présidez, alerte sur les effets cérébraux vantés par certains cosmétiques. Quelles sont les allégations que vous estimez mensongères ?
Pr Laurent Misery : Ces derniers temps, les allégations apposées sur des produits de beauté qui sont censés agir sur les émotions, le bien-être, l’humeur, le sommeil, le psychisme et donc sur le cerveau, se multiplient. On peut ainsi lire : « une ligne de soins au complexe pro-endorphine qui recrée les effets du bonheur sur la peau pour une efficacité ciblée sur les premiers signes de l’âge ». De son côté, un nouvel actif aurait « montré un impact positif fort sur l’humeur et sur l’état général de la peau, en agissant sur le microbiome et les voies inflammatoires cutanées ». Un autre industriel écrit avoir « développé un ingrédient actif innovant favorisant le bien-être ». Une marque connue « propose une nouvelle gestuelle à intégrer dans votre routine beauté sous forme de gouttes pour mieux dormir ».
Des mensonges ou un réel danger ?
Il est bien évident que n’importe quel cosmétique, et même l’eau du robinet, peut – un tout petit peu – nous apporter du bien-être et cela n’a donc rien de spécifique. Mais revendiquer des effets fantastiques liés à certains actifs relève probablement de la publicité mensongère. Ou alors, l’allégation est véridique et on entre dans le domaine de l’illégalité. En effet, un cosmétique ne doit agir que sur la peau et quelques muqueuses. S’il produit des effets sur d’autres organes, a fortiori le cerveau, il doit rapidement être retiré du marché. Car seuls les médicaments, dont la prescription est rigoureusement encadrée, ont le droit d’agir sur le cerveau
Certains de ces cosmétiques pourraient agir sur le cerveau ?
Certains actifs peuvent théoriquement agir sur le système nerveux, en particulier sur les endorphines ou le cortisol ou les récepteurs des cannabinoïdes. Si l’on agit uniquement sur le système nerveux présent au niveau de la peau, c’est très bien car les terminaisons nerveuses cutanées jouent un rôle intéressant dans l’équilibre des fonctions cutanées. Mais si l’on veut rendre les gens heureux en leur faisant produire des endorphines, cela veut dire que l’on agit sur le cerveau et que ces endorphines passent dans le sang. On risque même d’induire une dépendance. Soit il s’agit de publicités mensongères, soit il faut vite retirer un tel produit car il agit en dehors de la peau, à la limite même du trafic de stupéfiants !
Constatez-vous que ce phénomène marketing prend de l’ampleur ?
Ces allégations sont encore très minoritaires mais elles jettent l’opprobre sur l’industrie cosmétique qui travaille sérieusement en général. Des modes surviennent souvent en cosmétologie, et cette mode-ci se développe. C’est notre rôle d’alerter les consommateurs : il ne faut pas acheter de tels produits, soit parce qu’on sera victime d’une arnaque, soit parce que l’on prendra des risques pour sa santé.
Allez-vous intenter des démarches pour que les autorités légifèrent ?
En France, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) et l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sont chargées de réguler le domaine de la cosmétique et nous venons de les saisir du problème. Nos homologues européens feront de même.
Pourtant, la psychodermatologie existe. Quelle est-elle ?
Oui, mais elle n’a rien à voir avec ce marketing anti-éthique ! La psychodermatologie concerne les relations entre la peau et le psychisme. Les maladies cutanées peuvent avoir un retentissement psychique et il est donc important de les traiter. A cette intention, des cosmétiques efficaces sur la peau pourront aussi être utiles. Un soutien psychologique est également important, au moyen d’une psychothérapie ou d’un médicament, mais certainement pas d’un cosmétique. De même, le stress peut engendrer des effets négatifs sur la peau, que des cosmétiques peuvent partiellement corriger au niveau cutané, mais certainement pas en agissant sur le cerveau.
A noter : Le rôle du groupe Psychodermatologie de la Société Française de Dermatologie (SFD) est de produire des avis d’experts et de former les dermatologues. Son président, le Pr Laurent Misery, dirige l’équipe de recherche le LIEN (Laboratoire Interactions Epithéliums-Neurones) qui travaille sur les interactions entre la peau et le système nerveux, depuis les aspects biologiques fondamentaux jusqu’aux études cliniques, thérapeutiques ou psychologiques.