Asperges des bois : sont-elles vraiment comestibles ?

Asperges des bois : sont-elles vraiment comestibles ?

En vinaigrette ou en accompagnement d’un plat, l’asperge des bois, aussi appelée aspergette ou ornithogale des Pyrénées (Loncomelos pyrenaicus, Ornithogalum pyrenaicum), est une plante sauvage au feuillage vert amande, qui fait partie de la famille des asparagacées. On consomme son bouton floral, en forme d’épi, pour sa saveur combinant les arômes de l’asperge, du petit pois et de l’artichaut. Entre fin avril et début juin, on la trouve dans les prairies, sur les talus et dans les bois presque partout en France métropolitaine et en Corse. Cette plante peut également être cultivée dans les jardins potagers à partir de graines disponibles dans le commerce. Depuis quelques années, elle est proposée à la vente sur les marchés et dans certains supermarchés. Les premières alertes ont été signifiées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2019.

L’asperge des bois est considérée comme comestible… jusqu’à une possible interdiction

Bien qu’aucune étude n’ait encore démontré de toxicité chez l’humain, les Centres antipoison reçoivent ces dernières années des signalements de symptômes survenus après sa consommation. En mai 2019, celui de Nancy a lancé l’alerte après une intoxication grave menaçant le pronostic vital d’un individu. Deux heures après avoir consommé des asperges des bois, l’homme a présenté une sensation de gorge serrée avec des difficultés à avaler, suivies d’un œdème de Quincke et d’une urticaire généralisée. Symptômes identiques chez sa femme, mais moins intenses. Tout cela renforçait l’hypothèse d’une intoxication d’origine alimentaire.

Au total, après avoir fouillé dans les dossiers, entre 2010 et 2020 les Centres antipoison ont enregistré 37 repas d’asperges des bois liés à des intoxications. Sur 66 convives, 73 % ont présenté des symptômes, principalement des douleurs oropharyngées (42 %), une sensation de gonflement dans la bouche ou la gorge (29 %) et des difficultés à avaler (29 %). Ces symptômes apparaissaient en moyenne trois heures après la consommation, ce qui diffère des réactions allergiques ou irritations immédiates.

A la recherche des composés toxiques d’une plante jamais étudiée à ce jour

Pour en savoir plus sur ces intoxications, une étude a été menée de 2022 à 2023 par le Centre antipoison de Nancy et le laboratoire de pharmacognosie de la Faculté de pharmacie de Paris, financée par l’Anses. Les asperges des bois consommées avaient toutes été fraîchement ramassées, puis cuites à l’eau bouillante, à la vapeur ou sautées à la poêle. Les quantités ingérées, difficiles à estimer précisément, variaient entre une demi-asperge et 30 unités. Aucun des patients n’avait d’antécédents d’allergie alimentaire. Les symptômes sont apparus en moyenne quatre heures après le repas. Les signes rapportés étaient oto-rhino-laryngés, tels que des difficultés à avaler, une sensation d’œdème pharyngé ou de la bouche. Un œdème de Quincke a été confirmé chez un patient. Des symptômes digestifs, cutanés et respiratoires ont aussi été observés.

Sous le microscope…

L’examen microscopique a révélé une grande quantité de mucilages, des substances végétales composées de polysaccharides (glucides complexes) qui gonflent au contact de l’eau et prennent une consistance visqueuse. Mais l’analyse a mis en évidence la présence abondante de raphides d’oxalate de calcium, des cristaux microscopiques en forme de fines aiguilles, caractéristiques de nombreuses plantes, notamment d’intérieur (Aracées), dont l’irritation au contact de la peau et des muqueuses est bien connue.

On trouve également des sucres, des acides gras et du sitostérol, un stérol (un type de lipides) non toxique très répandu dans les végétaux.

Voici donc l’hypothèse des chercheurs : les raphides, sous forme de minuscules aiguillons, en se plantant dans la muqueuse oropharyngée, provoqueraient une irritation mécanique facilitant l’entrée de substances inflammatoires ou toxiques. Une concentration élevée en raphides endommagerait la muqueuse, réduisant sa protection et causant inflammation, gonflement et gêne à la déglutition. Ces substances ne seraient pas détruites par la cuisson. A ce stade, les composés actifs responsables de l’inflammation n’ont pas été identifiés.

Une explication aux manifestations retardées

Les mucilages des asperges pourraient d’abord emprisonner les raphides, les libérant progressivement pendant la digestion. Cela expliquerait pourquoi ceux-ci ne sont pas immédiatement en contact avec les muqueuses buccales et pharyngées, d’où les symptômes retardés après ingestion.

Les chercheurs envisagent une susceptibilité individuelle pour expliquer pourquoi certains développent des symptômes et d’autres non. Certaines personnes ayant consommé des asperges des bois les années précédentes sans problème pourraient soit avoir été « sensibilisées » à certaines substances soit exposées à une concentration plus élevée d’irritants dans la plante.

Faut-il continuer à consommer des asperges des bois ?

La vente croissante des asperges des bois pourrait entraîner une hausse des intoxications. L’Anses pousse les pouvoirs publics à envisager des mesures spécifiques, voire l’interdiction pure et simple de leur vente. En attendant, l’information du grand public et des professionnels de santé permettra d’améliorer le signalement et la documentation des intoxications.

En cas de symptômes après consommation d’asperges des bois, l’Anses recommande de contacter un Centre antipoison ou de consulter un médecin. Et, en cas de détresse vitale, d’appeler le 15 ou le 112 en mentionnant la consommation d’asperges des bois.