Alzheimer : peut-on aider son proche à maintenir ses capacités ?

Les proches, à l’aide de diverses activités notamment, peuvent-ils aider leur proche atteint de la maladie d’Alzheimer à conserver ses capacités ?
Mathilde Groussard : On sait que la maladie progressera quoi qu’il en soit. L’évolution sera plus ou moins rapide et l’impact réel des activités proposées ou non est difficile à évaluer. On sait toutefois que mobiliser son cerveau est toujours mieux que de ne rien faire. Car même sans pathologie, une expression résume bien l’idée : « use it or lose it ». Ce qui signifie en gros : « utilise tes fonctions cognitives sinon tu risques de perdre tes neurones », d’autant plus dans le cadre d’une maladie qui implique une détérioration cérébrale. Ainsi, mobiliser certaines fonctions cognitives, en s’appuyant sur des capacités encore préservées chez ces patients, pourra avoir un bénéfice sur la relation, la qualité de vie et le fonctionnement cognitif et éventuellement ralentir la progression des symptômes.
Cela peut être considéré comme un traitement de la maladie ?
C’est une préconisation en tout cas. Souvent on a une vision très négative de la maladie d’Alzheimer et des troubles apparentés. On pense que les personnes qui en souffrent ne sont plus capables de faire grand-chose, or c’est faux. Ils perdent la mémoire effectivement mais ils conservent de nombreuses capacités. S’appuyer sur ces capacités préservées permet aux familles de continuer d’interagir avec leur proche et de maintenir le lien social qui est indispensable pour une bonne qualité de vie.
« Les proches ne sont ni orthophonistes, ni psychologues ni rééducateurs donc ils n’ont pas à travailler le langage ou la mémoire. »
Sait-on à quel degré il faut stimuler une personne malade d’Alzheimer ?
Stimuler à outrance, pensant que son proche pourra résister, ne fonctionne pas. Pour lui ce sera stressant et fatigant et la maladie évoluera forcément. Ce qui peut être intéressant c’est d’aller vers des activités qui sont plaisantes et pour lesquelles le patient a des capacités préservées. Les proches ne sont ni orthophonistes, ni psychologues ni rééducateurs donc ils n’ont pas à travailler le langage ou la mémoire. Il faut réussir à trouver une activité qui ne mettra pas la personne malade en échec. Ce qui n’est pas simple pour les aidants qui ne savent pas toujours ce qui fonctionne bien ou pas. Imaginer qu’il faut réaliser des exercices de mémoire pour que le patient conserve sa mémoire, c’est par exemple une erreur que l’on peut faire.
Que conseillez-vous ?
Proposer des choses autour de médias artistiques comme la musique fonctionne bien car on parvient à mobiliser le cerveau. Les malades d’Alzheimer ont des capacités préservées sur le jugement esthétique, la reconnaissance d’une mélodie… Ils peuvent se souvenir d’une chanson et ressentir des émotions. C’est bien plus valorisant pour eux car ils sont dans une activité qui les met en réussite et pas en échec.
Tout ce qui est bien procéduralisé antérieurement à la maladie reste plutôt bien conservé. Par exemple, si la personne aimait jardiner, alors il faut qu’elle continue. En l’accompagnant évidemment, il faut leur permettre de poursuivre et de prendre du plaisir dans ces activités plutôt que de les orienter vers des activités sous forme d’exercice. Je précise qu’il faut souvent les aider à s’engager dans une activité en étant force de proposition. Par eux-mêmes, ils ne le feront pas. C’est l’une des caractéristiques de la maladie : moins de prise d’initiative.
« Le lien social et l’estime de soi maintiennent la qualité de vie et peuvent ralentir les effets de la maladie. »
Les gestes du quotidien entrent dans cette catégorie des gestes ritualisés alors ?
Bien sûr. Comme le fait de les laisser mettre la table. S’ils mettent plus de temps, installent un bol au lieu d’une assiette, ce n’est pas grave. La famille peut le guider et ce sera plus bénéfique que de tout faire à la place de la personne malade sous prétexte que cela prend trop de temps… Pour la toilette, le proche peut guider la personne en acceptant le fait que la personne prenne là encore plus de temps ou oublie où se trouve la mousse à raser. L’objectif étant seulement de palier à ses troubles de mémoire en sortant, par exemple, la mousse à raser du placard et de l’installer devant elle.
Vous parliez d’activités artistiques, que peut-on leur proposer d’autre ?
On peut jouer à des jeux de société qui ne nécessitent pas de développer une stratégie complexe ou avec lesquels la personne avait l’habitude de jouer avant. Ainsi, un petit enfant pourra, par exemple, jouer au jeu de l’oie avec un grand-parent malade. La personne joue mais, en plus, elle bénéficiera de l’interaction sociale, extrêmement importante pour éviter le repli sur soi.
Il est important aussi que les proches et les aidants maintiennent les interactions ?
Bien sûr ! Le lien social et l’estime de soi maintiennent la qualité de vie et peuvent ralentir les effets de la maladie. Continuer à parler, à échanger, même si on répète parfois les mêmes choses, cela contribue au fait que la personne continuera, malgré la maladie, à participer aux échanges. Elle va produire du langage, essayer de comprendre. Les aidants devront peut-être utiliser des mots et des idées moins complexes mais il ne faut pas mettre à l’écart la personne malade, imaginant qu’elle ne peut plus rien comprendre. Il est important de continuer à l’inclure. Il est aussi important de sortir, d’aller au musée, au spectacle, de marcher, d’observer la nature et d’en discuter. L’idée, là encore n’est pas de passer son temps à dire : « tu te souviens on était là hier » mais plutôt « regarde cet arbre comme il est beau » et de laisser son proche exprimer lui aussi ses émotions et donner son avis.
« Chacun fait en fonction de sa disponibilité physique et psychique. Parfois, il faut savoir passer le relais. »
Dans cette même veine, il est alors conseillé de ne pas essayer sans cesse de pousser la personne à se rappeler ?
Les photos peuvent être intéressantes notamment lorsqu’elles montrent des personnes que le malade a bien connues avant l’apparition d’Alzheimer. Si on utilise les photos pour obtenir des noms, alors on la met en difficulté. Ce sera surtout le cas pour les petits-enfants, les arrière-petits-enfants qui font partie de la mémoire plus récente et qui sont plus rapidement oubliés. Mais il ne faut pas se vexer. La maladie fait que la mémoire est incapable d’encoder une nouvelle information mais la personne malade reste tout de même contente de voir jouer son arrière-petit-enfant, de le taquiner, d’échanger des sourires, comme n’importe qui d’autre.
Donc demander « tu as mangé quoi au déjeuner » ou « tu as fait quoi hier », est totalement contre-productif ?
Oui, c’est mettre en évidence les troubles de mémoire. Cela ne sert à rien à part générer pour la personne une sensation désagréable en pointant le projecteur sur ce qu’elle n’est pas capable de faire.
C’est assez compliqué pour les proches de savoir si ce qu’ils proposent est bénéfique ou, au contraire, stressant.
France Alzheimer accompagne les proches et les aidants dans ce domaine car effectivement ce n’est pas simple de savoir ce qu’on peut faire ou pas. En revanche, il ne faut pas se mettre trop de pression sur les épaules. Chacun fait en fonction de sa disponibilité physique et psychique. Parfois, il faut savoir passer le relais et par exemple laisser son proche malade passer la journée en accueil de jour. Des structures existent. Tout comme les visites à domicile par les équipes spécialisées Alzheimer, qui peuvent être prescrites par le neurologue, sont aussi de bon moyen de passer le relais.