La dépression souriante existe-t-elle vraiment ?

L’expression dépression souriante décrit une situation où l’on paraît joyeux, du moins avenant, tout en ressentant des symptômes dépressifs. Est-ce un trouble psychique reconnu ?
Dr David Masson : L’expression dépression souriante ne correspond pas à une entité reconnue dans les classifications psychiatriques telles que le DSM-5 ou la CIM-11. Ce n’est pas un type spécifique de dépression. Mais il s’agit d’un phénomène qui est loin d’être exceptionnel, sans pour autant pouvoir être quantifié. Au cours de sa vie, une personne sur quatre à une sur cinq connaîtra un épisode dépressif. Certaines présenteront effectivement un masque souriant, avenant en apparence.
Mais attention, contrairement aux idées reçues, une personne souffrant de dépression ne montre pas toujours de signes visibles typiques comme le ralentissement, une fatigue générale (asthénie), la difficulté à accomplir des tâches ou un visage triste. Quelqu’un peut apparaître joyeux et souriant en surface tout en souffrant intérieurement de symptômes dépressifs et même d’une souffrance psychique profonde. Cette dépression se manifeste différemment (« dépression atypique ») par un masquage des émotions et un maintien d’une apparence normale. Le sourire peut servir de façade, mais il ne reflète pas l’état psychique réel.
C’est toutefois inconscient ?
La dissimulation des symptômes peut être inconsciente, mais elle peut aussi résulter de pressions sociales ou culturelles. Par exemple, chez certains hommes, des injonctions liées à la représentation de la masculinité – « ne rien montrer », « serrer les dents » – peuvent encourager le maintien d’une apparence normale même en présence de dépression.
Autre cas de figure, certaines personnes qui souffrent de dépression se refusent à se reconnaître comme dépressives. Elles peuvent se dire « ce n’est pas possible » ou même se convaincre qu’elles n’ont pas le droit de l’être, surtout si rien d’objectif dans leur vie ne semble aller mal. L’idée fausse veut que la dépression soit toujours causée par un événement précis et que, si tout semble aller bien dans la vie, la souffrance ne devrait pas exister. C’est faux.
Une autre explication est que beaucoup de personnes cherchent à se protéger du jugement des autres ou de l’étiquette de « personne faible » et préfèrent masquer leurs émotions. Ce camouflage se traduit souvent par un sourire apparent. En consultation, il arrive fréquemment de voir ce masque se fissurer : le sourire persiste, mais les yeux commencent à s’humidifier, révélant la difficulté à maintenir cette façade. Ce phénomène n’est pas rare, il reflète simplement la complexité de l’expression de la dépression chez certaines personnes.
Ce peut être aussi dû au tempérament de la personne ?
Éventuellement, mais ce qu’il faut bien comprendre est que la dépression ne se traduit pas toujours par de la tristesse. La clé de la dépression réside moins dans la tristesse que dans la perte de plaisir, appelée anhédonie, et dans le ralentissement psychomoteur, c’est-à-dire la sensation que la pensée et les actions fonctionnent au ralenti. Tout devient fade, sans saveur, et la perception de la vie peut apparaître terne ou en nuances de gris ou noir. À cela s’ajoutent souvent un manque d’intérêt, une hypersensibilité, de l’anxiété, des troubles du sommeil, etc. qui participent à l’expression globale de la dépression, mais qui ne sont pas forcément de la tristesse.
Derrière ce masque, quels signes êtes-vous en mesure de repérer chez ces personnes ?
La détection de la dépression n’est pas toujours immédiate et peut se manifester de manière très variée. Certains signes peuvent apparaître progressivement : la personne se sent différente de d’habitude, mange moins, perd du poids, présente des troubles du sommeil ou des pensées suicidaires, est plus anxieuse, s’isole, alors que tout semble « normal » en surface. En creusant un peu, il est possible de faire émerger ces signes révélateurs. C’est un faisceau d’indices, qui durent dans le temps. De plus, les tentatives de rationalisation ou de minimisation de ces symptômes sont fréquentes chez les personnes en grande détresse. Pour elles, admettre « je suis déprimé », c’est « être faible, sans volonté ». Pour d’autres c’est pour ne pas avoir à s’engager dans un suivi psychiatrique, une psychothérapie ou à prendre un traitement antidépresseur.
Certains profils jusqu’auboutistes semblent particulièrement vulnérables ?
C’est paradoxalement le cas de ceux qui donnent l’image d’une grande force dans leur vie quotidienne, qui travaillent beaucoup, avancent coûte que coûte, et parviennent à maintenir cette façade. Leur résistance peut toutefois conduire à un épuisement brutal, parfois jusqu’à l’effondrement ou au suicide. Ce dernier reste l’un des principaux risques associés à la dépression.
Ces profils sont paradoxalement plus vulnérables, notamment parce qu’ils éprouvent des difficultés à reconnaître les signaux d’alerte psychologiques. Soit ils ne les voient pas, soit ils les occultent, soit ils s’interdisent de les admettre, convaincus que « tout va globalement bien » et qu’ils n’ont pas de raison de se plaindre.
Chez ces personnes, certains événements positifs peuvent améliorer l’humeur, mais cela reste fugace.
Que peut faire le psychiatre ? L’entourage ?
Dans ce contexte, le rôle du psychiatre ou de l’entourage est d’ouvrir la discussion. L’approche frontale (« tu vas mal, il faut consulter ») fonctionne rarement. Il est plus aidant d’exprimer ses propres observations : « j’ai l’impression que tu es moins disponible », « je trouve que tu dors moins bien », « je te sens soucieux », « j’ai observé ça, qu’en penses-tu ? ». Ce type de formulation invite à échanger et peut permettre à la personne de commencer à parler de sa souffrance.
De plus, il faut comprendre qu’être en dépression ne signifie pas forcément devoir prendre un traitement antidépresseur. Il existe d’autres approches efficaces, notamment la psychothérapie, qui est recommandée en première intention pour les dépressions légères à modérées. Il existe aussi des facteurs de protection dans la dépression, dont ce que l’on appelle les « actions engagées ». Il s’agit d’identifier les valeurs essentielles pour la personne et de réaliser des actions qui vont dans ce sens.