Pesticides : une plateforme pour permettre aux riverains exposés et malades d’être indemnisés
L’avocate Corine Lepage a annoncé mercredi 15 mai le lancement d’une première action collective pour les victimes non professionnelles des pesticides. Aujourd’hui, trois maladies sont reconnues comme étant en lien avec les produits phytosanitaires pour les professionnels qui les manipulent, agriculteurs en première ligne. Il s’agit du cancer de la prostate, du lymphome non hodgkiniens et de la maladie de Parkinson. Un fond d’indemnisation a été créée en 2020. En 2022, le montant total des indemnisations s’élevait à 6,7 millions d’euros.
Appel à la mise en place d’un régime d’indemnisation
Quid des riverains exposés, malgré eux, à ces mêmes pesticides ? « Notre initiative n’est pas contre les agriculteurs mais elle est destinée à permettre à des gens qui se trouvent dans des situations comparables à celles des agriculteurs, qui présentent les mêmes maladies, de pouvoir être indemnisés. On demande qu’un régime d’indemnisation soit mis en place », a commenté l’ex-ministre de l’Environnement des gouvernements Juppé, lors d’une conférence de presse.
Pour elle et ses associés, il n’est pas normal que les trois maladies reconnues comme maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides ne soient pas reconnues chez les riverains des champs d’épandage. « Des consignes de sécurité ont été formulées pour les agriculteurs (combinaisons, protection du nez, de la bouche, des yeux, pas de retour sur les lieux d’épandage dans les 48 heures). Le voisin lui ne s’en va pas durant 48 heures, il habite là. Il ne dispose pas de moyens de protections particuliers. Et même s’il s’enferme chez lui, on sait que les poussières de pesticides rentrent dans les maisons. Il est choquant que les riverains n’aient aucune indemnisation s’ils sont malades », plaide-t-elle.
Une action collective à faible coût
Cette action collective est la première lancée par le cabinet Hugo Lepage avocats. L’idée de départ était de demander une indemnisation pour les riverains victimes d’une des trois maladies reconnues comme maladies professionnelles. Mais plusieurs dossiers déposés concernent aussi des maladies pédiatriques et l’anxiété liée au fait de vivre à proximité de zones d’épandage. En droit civil, il s’agit du préjudice d’anxiété, soit le sentiment d’inquiétude permanent généré par le risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l’exposition à une substance dangereuse. Ces dossiers seront également pris en charge par le cabinet.
Dans un premier temps, il sera demandé à l’Etat une indemnisation « en raison de sa carence dans la mise en place d’une réglementation adaptée et efficace quant à l’utilisation et à l’épandage des pesticides ». En cas de refus, le tribunal administratif sera saisi. Coût de la procédure : 230 euros par dossier.
Pour participer à l’action collective, toutes les victimes non professionnelles peuvent se rendre sur la plateforme dédiée afin constituer un dossier et y verser les pièces nécessaires, sans condition d’âge, qu’elles soient malades ou craignent pour leur santé. La procédure peut également concerner des femmes et des enfants, exposés durant la grossesse aux pesticides.
Les pesticides reconnus en lien avec six maladies
Le récent rapport du gouvernement Stratégie Ecophyto 2030, publié en mai, reconnaît « une présomption forte de lien entre l’exposition professionnelle aux produits phytopharmaceutiques et six pathologies » : les trois déjà reconnues comme maladies professionnelles mais aussi le myélome multiple, les troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive (et bronchite chronique).
Sur la protection des riverains, le rapport propose de déployer un outil d’information, sensibiliser les professionnelles de santé aux maladies professionnelles liées aux pesticides et à la question de l’exposition des riverains. Il prévoit aussi d’étudier la possibilité de mettre en œuvre un dispositif d’indemnisation des riverains différents du fonds actuellement en place pour les professionnels.
Le lien de causalité « impossible » à prouver
Différence notable : « la présomption d’imputabilité prévue par les tableaux de maladies professionnelles ne sera, par définition, pas applicable dans un cadre autre que professionnel ». En effet, souffrir d’une maladie reconnue comme maladie professionnelle permet d’être indemnisé sans fournir les preuves d’un lien de causalité. « Or ce lien de causalité est tout l’enjeu. A part l’amiante dont on retrouve des fragments dans la plèvre des patients, on ne peut jamais prouver à 100 % que telle pathologie a été causée par tel produit, c’est impossible. Comment, dès lors, les riverains pourront-ils être indemnisés alors qu’on pourra leur rétorquer que leur maladie peut ne pas être dû à l’épandage des pesticides ; les cancers de la prostate et maladies de parkinson ne sont pas des affections rares », souligne Corine Lepage.
L’action devrait être lancée dans le courant du moins de juin. Pour l’heure une vingtaine de dossiers a été reçu mais le cabinet en attend davantage avec le lancement de la plateforme.